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Nation et Identité
Allocution présentée au Synode général de l’Église anglicane du Canada
à Montréal, le lundi 25 mai 1998

par le Très Révérend Andrew S. Hutchison, Évêque de Montréal

Cet après-midi, nous allons examiner deux questions qui ont pris un accent particulier au Québec. Le fait de nous réunir dans la plus grande ville du Québec nous fournit une occasion toute spéciale d’aborder un sujet qui, depuis 1960, domine l’actualité. Mais il a fallu 16 ans pour que ce sujet imprègne profondément la conscience de la plupart des Canadiennes et Canadiens. En effet, c’est en 1976 que le mouvement nationaliste a atteint un point culminant lors de l’élection du Parti Québécois à titre de gouvernement du Québec. Les questions que nous allons examiner touchent surtout l’identité et la compréhension de soi. Étant donné leur nature dynamique, ces questions se penchent rapidement vers nos rapports avec les autres : des personnes pour lesquelles notre expérience partagée du monde est inconnue ou, dans la mesure où elle est connue, incomprise.

Dans les années 70, j’étais un jeune prêtre dans le diocèse de Toronto. L’évêque diocésain était alors l’archevêque Lewis Garnsworthy. Exprimant à haute voix la curiosité qui habitait plusieurs d’entre nous, il demanda si nous ne devrions pas nous réveiller et chercher à voir ce qui se passait vraiment au Québec. Le père Irénée Beaubien fut donc invité à parler à une conférence regroupant quelque 300 membres du clergé anglican à Toronto. Le père Beaubien, un jésuite, a fondé le Centre Canadien d’œcuménisme situé ici, à Montréal. Pendant des années, les jésuites ont fourni un appui intellectuel au mouvement nationaliste au Québec. J’estime que son allocution a eu une influence sur ma décision de déménager à Montréal quelques années plus tard, et sur le fait d’être présent ici, aujourd’hui. Il m’a certainement fait prendre conscience de la question et, conséquemment, m’a donné le goût de participer à la solution. Je suis d’avis que pour quelque raison que ce soit au cours de notre parcours, plusieurs d’entre nous découvrons qu’un thème théologique dominant prend la forme d’une idée directrice qui habite notre être. Pour moi, ce thème a toujours été celui de la réconciliation. St-Paul a articulé ce thème : Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde et il nous a confié ce ministère de la réconciliation. Dans un monde plein de conflits, nouveaux et anciens, cela représente tout un défi! Au cours des premières années de notre mariage, mon épouse Lois et moi-même avons passé nos vacances au Québec, au temps de la Révolution tranquille. Comme nous sommes tombés en amour avec le Québec, il a été facile d’accepter l’invitation de venir à Montréal pour être le doyen de la cathédrale Christ Church. Avec les paroles du père Beaubien en tête et un engagement face à la réconciliation dans mon coeur, il me semblait que nous pouvions apporter une contribution. Et j’y crois toujours.

Les discussions nationalistes au Québec projettent tout une ombre sur le Canada à cause de notre bloc continental et notre population. Cela ne revient pas à dire que les questions d’identité et de compréhension de soi sont réservées au Québec. Au contraire, ces questions touchent plusieurs collectivités au Canada, dont certaines ont raison de prétendre que leurs préoccupations se font éclipser injustement par l’énergie et l’urgence visibles des discussions qui ont lieu au Québec. Le présent Synode a pour thème «Faisons entendre nos voix! — Lift every voice!» On ne peut approprier littéralement le thème sur le sujet de la nation et de l’identité. Nous avons un trop grand nombre de circonscriptions distinctes au pays avec des préoccupations concernant ces questions. Par contre, nous avons invité des personnes représentant quelques régions et communautés importantes à venir parler de leurs difficultés touchant les questions d’unité et de nation. Nous souhaitons que plusieurs d’entre vous pourrez entendre vos préoccupations particulières.

Ce soir, nous entendrons des conférenciers qui représentent le Québec, les Premières Nations, l’Ouest canadien et les Maritimes. Chaque personne est invitée à commenter l’allocution sur ce thème et à réagir à la question lorsque soulevée dans leur région ou collectivité. Puis, les membres du Synode seront invités à adresser leurs questions et commentaires au panel de conférenciers. Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’un débat sur la question des aspirations du Québec ni de tout autre groupe. Nous visons plutôt à :

  1. Avoir un échange d’information. Nous espérons qu’à la fin de la journée chacun d’entre nous sera mieux informé.
  2. Réaliser que nous ne sommes pas seuls à être préoccupés par les questions de nation et d’identité. Nous espérons que nous comprendrons mieux qu’il existe des groupes, autres que ceux avec lesquels nous nous associons, qui partagent des préoccupations similaires aux nôtres.
  3. Découvrir la possibilité que nous pouvons nous entraider. Nous espérons que nous pourrons commencer à imaginer des façons qui peuvent nous aider mutuellement à réaliser nos aspirations légitimes.

Nous en dirons plus ce soir lors de la présentation des conférenciers. Je dois dire que je suis frappé par la différence subtile entre les versions française et anglaise du thème du synode. La version anglaise se traduit littéralement par «Élevons nos voix!» alors que la version française est «Faisons entendre nos voix!». J’espère que l’esprit du thème nous amènera à écouter et à comprendre ce qui est dit. Dans la langue française, on dit que les questions d’identité sont des questions du coeur. Il est donc important d’écouter avec son coeur et non seulement avec sa tête.

 

Trois propositions

J’aimerais commencer avec quelques propositions de base. Premièrement, je ne crois pas que les Saintes Écritures ou notre tradition donnent le mandat à l’Église de favoriser une forme de gouvernement en particulier. Étant donné qu’il s’agit d’une question politique, ce sont les électeurs et les électrices, chrétiens ou non, qui doivent choisir notre mode d’organisation pour notre sécurité et bien-être collectifs. Par contre, nous avons été mandaté tant par l’Évangile que par notre baptême pour faire notre possible pour avoir la justice et la paix pour toutes les personnes et le respect de la dignité de chaque être humain. À mon avis, l’Église n’a pas d’affaire à s’aligner du côté du «Oui» ou du «Non» lors d’un référendum à ce sujet. Par contre, elle doit voir à ce que les droits fondamentaux et le bien-être des citoyennes et citoyens soient protégés. On ne peut accepter d’appliquer un programme politique qui sacrifie les valeurs justes et fondamentales d’une société. J’ai été nommé évêque en 1990 et monsieur Bouchard est le quatrième premier ministre à occuper ce poste depuis ce court lapse de temps. J’ai eu l’occasion de rencontrer chaque premier ministre et de leur faire part de mes opinions à ce sujet, ainsi qu’au public, via les médias, et à l’Église. Il va sans dire que ces opinions sont plus appréciées par les premiers groupes que par l’Église. Car, en dépit de l’inclusion d’une variété de cultures et de langues, les membres du diocèse sont de langue anglaise pour la plupart. Ces membres sont portés à se tourner vers l’Église pour obtenir un appui et une direction quant aux questions qui les affectent profondément. La position que j’ai prise n’est pas réconfortante pour ces personnes ni pour moi. Par ailleurs, ce que je pense personnellement - et, croyez-moi, passionnément - est tout autre, mais je n’ose pas partager ces opinions à titre de chef d’une église. C’est une limite que mon collègue, le Cardinal Turcotte, a franchie quand il s’est objecté lorsque le gouvernement fédéral a contesté la légalité d’une déclaration unilatérale d’indépendance à la suite d’un référendum provincial. Même s’il n’y a rien de mal à ce qu’il adopte cette position, appuyée, par ailleurs, par les deux côtés de l’Assemblée nationale du Québec, cela n’a pas été jugé approprié de la part d’un dirigeant d’une Église. J’ai eu des entretiens tant publics que privés avec le premier ministre sur la question des revendications autochtones pour l’autodétermination. C’est une injustice flagrante de voir des immigrants européens du sud du Québec revendiquer le droit de déterminer la citoyenneté des peuples autochtones établis sur la terre depuis quelque 5 000 à 6 000 ans. Je me suis prononcé en faveur de la position des Autochtones au sujet du développement de la Baie James et au sujet de l’affront scandaleux fait à la communauté juive lorsque les aliments spéciaux pour la pâque juive ont été retirés des tablettes juste avant le congé pascal à cause de l’absence de français sur l’emballage des produits importés. Pour moi, ces sujets touchent notre engagement baptismal. Par contre, ce n’est pas aussi évident en ce qui concerne l’organisation politique.

Deuxièmement, je pense qu’en tant que Canadiennes et Canadiens de Terre-Neuve à l’Île de Vancouver, nos points communs sont plus nombreux que nous ne le pensons, tant au point de vue de notre culture que de nos traditions qui couvrent tout un éventail. Les inondations au Saguenay et, plus récemment, au Manitoba, puis la tempête de verglas et ses effets sur l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick, plus tôt cette année, en sont un très bon exemple. La première réponse que j’ai eue à la tempête de verglas est venue du diocèse d’Athabaska suivie de près d’un appui généreux de la Colombie-Britannique et de Terre-Neuve. Des réactions de chaque région du pays nous sont parvenues très rapidement. Toutes les barrières politiques, géographiques et culturelles ont semblé tomber et, ici au Québec, de purs étrangers sont rapidement devenus des amis et les politiciennes et politiciens de tous les niveaux ont assumé un leadership sensé, informé et totalement non partisan. C’est la façon humaine de réagir à toute menace sérieuse qui affecte un des nôtres et, à titre de Canadiennes et Canadiens, nous le faisons à merveille. Cela reflète une sensibilité canadienne qui affecte nos politiques étrangères et nationales et la vie des communautés, petites ou grandes, à travers le Canada. Est-ce dû à notre histoire, notre géographie ou notre climat? Qui sait? Il n’en demeure pas moins que parmi les pays du monde, les Canadiennes et Canadiens se sont mérités la réputation d’être une société tolérante, humanitaire, pacifique et responsable, des vertus qui transcendent les distinctions linguistiques et l’histoire régionale.

Troisièmement, je crois que le Canada est une expérience fantastique, une œuvre en cours. Et cela mérite d’être célébré et non dénigré. Cela nous rend quasiment unique dans un monde d’états-nations. Même si cela gêne un certain nombre de Canadiennes et Canadiens qui préféreraient qu’on soit un pays comme les autres, c’est un fait qui nous distingue et nous modèle. Nous changeons constamment et nous sommes engagés dans des négociations avec les différentes juridictions qui partagent ce territoire ce qui, d’après moi, est comme il se doit. Il y en a qui en ont assez des discussions constitutionnelles. Pourtant, avoir des échanges et des négociations constantes sont de simples éléments d’une société ouverte et dynamique qui reconnaît qu’il faut changer. «Décidons de la question une fois pour toutes» n’est pas une formule d’ouverture aux aspirations changeantes de l’ensemble des citoyennes et citoyens. Je crois que cette troisième proposition nous permet d’espérer assister à une évolution positive de notre vie, ensemble sur ce continent. Un état unitaire doté d’un gouvernement central fort requiert une conformité qui l’empêche d’être très sensible aux besoins régionaux et culturels ce qui, avec le temps, imprègne la conscience nationale et la conscience des citoyennes et citoyens. Il est important de se rappeler que les nations qui, selon nous, sont les plus civilisées et développées sont les produits de l’oppression, de la coercition, du conflit et de la violence sur une très grande échelle. La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les État-Unis ont atteint leur statut actuel au prix de millions de vies de leurs propres citoyens dissidents. Les personnes qui voudraient que le Canada ressemble davantage à ses partenaires commerciaux devraient revoir l’histoire des gens qu’elles cherchent à imiter. Le Canada se distingue parmi ses voisins de la communauté mondiale des nations par sa volonté de traiter des facteurs complexes sur son territoire. Et, à cause de cela, nous avons développé une éthique d’autocritique et le besoin d’être ouvert à la négociation menant au changement. Il y a deux ans, lors d’un déjeuner à l’occasion de la fête de la St. Patrick, ici à Montréal, Jean Charest a déclaré : «Le Canada est un pays

 

dont les seules critiques vivent sur son propre territoire.». Même si Jessie Helms est une exception notable, je partage le commentaire de monsieur Charest et je crois que cela doit être ainsi. Il est vrai que notre autocritique devient parfois autodénigrante et est souvent dirigée sans grande retenue vers les personnes que nous élisons et nous ne pouvons en être fiers. Cela ne diminue tout de même pas l’importance d’une autocritique responsable et d’une ouverture d’esprit au changement qui en découle.

 

La situation au Québec

Ayant articulé ces trois propositions, j’aimerais maintenant me tourner vers le Québec et certaines des observations les plus controversées, et peut-être même dangereuses, de la présente allocution. Il existe un mythe répandu de deux solitudes au Canada, l’une française et l’autre anglaise. Il s’agit d’un mythe qui ne prête aucune attention aux sociétés qui ont évolué partout sur ce territoire, précédant par des milliers d’années l’immigration européenne. Le mythe ne tient pas compte de l’immigration provenant d’Asie, d’Afrique, d’Amérique Centrale, d’Amérique du Sud, des pays d’Europe de l’Est, ou de pays autres que la France et la Grande-Bretagne. C’est un mythe qui, à travers les siècles, a été exploité de diverses façons par classe politique et qui renforce efficacement la mentalité de victime parmi les Québécoises et Québécois francophones. Mais la mentalité de victime existe depuis plus longtemps que le mythe.

Les Français sont arrivés sur cette terre à titre de sujets du roi de France et ils se sont retrouvés sous le joug d’un gouverneur colonialiste autoritaire et d’une Église zélée et puissante. On assista, 150 ans plus tard, à l’arrivée des Britanniques avec un contingent de mercenaires allemands et, tour à tour, le Québec puis Montréal furent capturés. Les colons se sont donc retrouvés sous l’autorité des institutions et d’un gouvernement britanniques qu’ils ne comprenaient pas facilement. L’Église est devenue encore plus importante car c’est elle qui défendait les intérêts des colons français. C’était une force qui les séparait d’un gouvernement dont la langue, la religion et la culture leur était étrangères. La mentalité de victime et la faible estime personnelle qui s’ensuivit ont trouvé un nouveau terrain où grandir. On ouvrait ainsi la porte à l’exploitation et il n’y avait pas de pénurie d’aspirants politiques pour saisir l’occasion. Sans vouloir retracer l’histoire du Québec, j’essaie de souligner que le processus historique des Québécois francophones leur a permis, pendant une grande partie de cette histoire, de blâmer quelqu’un d’autre pour leur sort : le roi français, le gouverneur, les Britanniques, l’Église, le gouvernement du jour à Québec ou à Ottawa. La scène était montée pour l’explosion de 1960.

 

La Révolution tranquille

Il y a certainement eu des voix et des mouvements héroïques qui ont prôné la réalisation de soi avant ce temps-là et, plus fréquemment, au cours du siècle actuel. Mais c’est la mort de Maurice Duplessis qui a ouvert la porte au changement et qui a donné naissance à la Révolution tranquille. C’est finalement sous le gouvernement libéral de Jean Lesage et son remarquable ministre des Ressources naturelles, René Lévesque, que les Québécoises et Québécois ont décidé que le temps était venu de prendre le contrôle de leur propre destinée. On lui doit l’expression bien connue »Maîtres chez nous!», slogan populaire créé par Errol Bouchette, écrivain et fonctionnaire du 19e siècle, qui préconisait l’autonomie économique du Québec et la nationalisation des ressources hydroélectriques. D’un certain point de vue, ce fut la naissance d’une démocratie libérale responsable au Québec, une détermination à devenir maîtres de notre destinée. Notre dépendance prendrait fin. Nos institutions serviraient nos meilleurs intérêts, à commencer par une hydro-électricité à prix abordable, des soins de santé universels et l’accès à une éducation gratuite pour tous. Nous assistions à la création d’une nouvelle image et compréhension de soi où les anciennes dépendances n’avaient plus leur place. Monsieur Lévesque disait d’Hydro-Québec :

«Hydro-Québec est rapidement devenu une espèce de pionnier du changement social en ce qui a trait au Québec, en ce sens qu’il appartient à l’ensemble de la population.» (Traduction)

Lors d’une allocution importante au Canadian Club à Montréal, le ministre décrivait le défi auquel le nouveau gouvernement libéral devait faire face et il a déclaré :

«Notre travail consiste à s’assurer que la majorité reçoive ce qui lui revient de droit, ce qui n’est jamais arrivé dans le passé (en partie, par leur propre faute), et qu’un meilleur avenir s’offre à eux et à leurs enfants.» (Traduction)

Une planification détaillée pour l’avenir commença pour de bon en 1963 sous René Lévesque. L’objectif était de concevoir une vision où le gouvernement jouerait le rôle de leader et de s’assurer que l’entreprise privée collabore à l’atteinte des objectifs, soit un genre de contrat social. Voici sa propre description du concept.

«Quelques soient les proportions qui sont finalement acceptées pour préparer cette recette pour la planification économique, il y a au moins deux ingrédients qui doivent en faire partie si on veut éviter que cette planification ne devienne une espèce de fraude nationale : (1) l’économie elle-même doit être un moyen pour atteindre l’objectif de toute société civilisée, soit la valorisation de la dignité de l’homme grâce à un travail suffisamment bien payé pour garantir un bien-être de base auquel tout le monde est en droit de s’attendre; (2) les contraintes de la planification ne doivent pas être simplement imposées par le haut mais avoir l’accord de la majorité afin qu’elles soient le résultat de la plus démocratique participation représentative dans la formulation et l’implantation des buts de la société.» (Traduction)

À Toronto, en 1963, René Lévesque proclamait ses vues sur la fédération.

«Pour être honnêtement un Canadien, je ne devrais pas me sentir comme un Autochtone qui quitte sa réserve à chaque fois que je quitte le Québec. À l’extérieur du Québec, je ne vois pas deux grandes cultures. Je me sens comme un étranger. En tout premier lieu, je suis Québécois et, en second lieu, avec un doute plutôt grandissant, je suis Canadien.» (Traduction)

De tels commentaires attiraient de plus en plus l’attention des médias et ils ont porté un des conférenciers de ce soir, l’Honorable Claude Ryan, alors éditeur du journal Le Devoir, à déclarer:

«Monsieur Lévesque n’a pas encore fait la transition entre agir impulsivement et avoir des propos modérés. L’homme est devenu trop important, trop plein de promesses, pour se tenir indéfiniment dans le cadre de la porte à menacer de proclamer sa colère au monde extérieur si on ne lui accorde pas une audience dans la maison.» (Traduction)

Le Parti Libéral a poursuivi son programme rigoureux de réforme comprenant la création, en 1964, du ministère de l’Éducation du Québec qui visait une éducation gratuite pour tous à tous les niveaux, et du Régime de rentes du Québec, en 1965. Le chef du parti, monsieur Lesage, ne semblait pas posséder la même passion pour la démocratie que ses lieutenants, ce qui porta M. Ryan à écrire dans Le Devoir :

«Ce qui déplaît dans le comportement de monsieur Lesage, c’est la manière égoïste qu’il a de prétendre avoir le monopole sur le bon sens, le réalisme et la responsabilité.» (Traduction)

À la suite d’un remaniement ministériel au Québec, en octobre 1965, M. Lévesque s’est retrouvé au ministère de la Famille et des Services sociaux. Mais cela ne suffirait pas à sauver le parti d’une défaite électorale neuf mois plus tard. Cela lui a tout de même permis d’articuler à nouveau sa vision. En 1966, il déclarait :

«Le Canada français réveillé n’est pas contre un groupe ou ses droits mais seulement contre les privilèges enchâssés d’une minorité dominante. Le réveil du Québec est un phénomène positif qui n’est pas seulement tolérant mais profondément respectueux des droits de la minorité.» (Traduction)

Les choses sont arrivées au point critique entre les modérés et M. Lévesque lors du Congrès libéral, en octobre 1967, et il démissionna du parti durant le Congrès quand il s’aperçut que son idée d’une souveraineté-association ne passerait pas. Je veux clore cette importante vue d’ensemble de l’évolution du Québec au cours des années 1960 avec une déclaration de ce populaire et remarquable leader nationaliste québécois sur ce que devrait être un parti politique.

«Dans l’ensemble, je crois qu’on peut le résumer en trois mots : démocratique, progressiste, québécois. Premièrement, «démocratique» signifie que tous les droits acquis et les cliques sont exclus. Le parti doit garder ses portes grandes ouvertes et accueillir toutes les personnes qui sont prêtes à accorder leur appui au programme de même que toutes les personnes qui valorisent leur liberté d’expression et leur droit de ne pas être d’accord tout le temps sur toutes les questions. Un parti démocratique n’est pas un ensemble d’automates. C’est un terrain de rencontre pour des citoyens libres prêts à accepter un minimum de discipline nécessaire à toute organisation qui veut vraiment accomplir quelque chose plutôt que de simplement se contenter d’être un forum sans direction. Un parti démocratique est aussi un parti qui appartient à ses membres et dont le financement est entièrement, sans qualifications cachées ni mystères, entre leurs mains. Le mot «progressiste» est un adjectif qui s’applique à un parti qui n’a pas peur du changement. Maintenant plus que jamais, nous devons accepter le changement social et économique comme étant normal et sain. Un parti progressiste ne doit pas seulement accepter un tel changement mais il doit aussi avoir le courage de proposer des changements qui semblent souhaitables et de les mettre à exécution sans faire de bruit dès qu’il est au pouvoir. Et il doit continuer de le faire avec la même vigueur réfléchie tant qu’il est au pouvoir sinon, tôt ou tard, il deviendra un parti conservateur, tout aussi respectable, mais ce ne sera pas du tout la même chose ! Pour moi, «québécois» veut d’abord dire que nous devons accepter tout de suite l’égalité de tous les citoyens du Québec aux yeux de chaque institution et de la loi, et être prêts à défendre ce principe lorsque nécessaire, indépendamment des affiliations culturelles, religieuses et même politiques. Chaque Québécois est et doit demeurer un citoyen à part entière. C’est une idée qui est absolument essentielle et que nous ne devons jamais oublier, surtout durant des temps difficiles comme ceux que nous traversons présentement. De plus, «Québec» doit signifier le Canada français dans un sens collectif. Nous somme la nation québécoise et nous formons 80 % de la population de la province. Les autres peuvent se sentir chez eux quasiment n’importe où, mais nous n’aurons jamais d’autre patrie assurée qui sera la nôtre à part le Québec. Un parti du Québec ne doit jamais oublier cela, il doit toujours travailler sans relâche pour les intérêts nationaux des Canadiens français et, à chaque jour, dans chaque champ, il doit s’efforcer de nous amener plus près du temps où nous serons, une fois pour toutes, maîtres chez nous.» (Traduction)

Même si M. Lévesque a adopté ce point de vue alors qu’il était ministre au sein d’un gouvernement libéral du Québec, on peut croire qu’il n’a pas beaucoup changé quand le Parti Québécois est arrivé au pouvoir en 1976.

L’autre groupe qui fait partie du mythe Anglais-Français a connu une évolution historique fort différente. Les Anglais sont arrivés sur ces rives dotés d’une tradition d’institutions et d’une gouverne démocratiques libérales datant du temps de Charles I, comprenant une Église ayant vécu l’expérience récente de la Réforme. Les liens de dépendance qui couvraient l’Atlantique étaient une source de confiance et de fierté au sein d’un empire britannique en pleine expansion et ils ne donnaient aucun signe de représailles possibles envers les colons. Nous pourrions revoir en détail ces deux parallèles historiques mais il suffit de dire que les premiers développements de la réalité française et de la réalité anglaise sur cette terre ont été totalement différents, et ils expliquent, en partie, les événements récents. Cela explique aussi notre compréhension si différente de la réalité actuelle. S’il est vrai qu’un grand nombre de Québécoises et de Québécois croient que le Québec est parvenu de lui-même à devenir une société démocratique responsable en 1960, il devient plus facile de comprendre l’exaltation et l’enthousiasme qui entoure cette période. Il faut aussi dire que les réussites du Québec au cours des 38 dernières années sont phénoménales.

Je crois que le développement de sociétés entières reflète notre propre développement individuel. Au début, nous vivons en état de dépendance, puis nous progressons vers l’indépendance et, une fois devenus matures, nous établissons des relations interdépendantes saines. Autant ce processus est inévitable chez les êtres humains, autant il est nécessaire, à mon avis, pour des sociétés entières. C’est un processus que le Québec doit suivre et suivra. La question qui se pose pour nous, et pour le reste du Canada, est la suivante : «Comment pouvons-nous, ainsi que le reste du Canada, concevoir un appareil politique qui permettra la réalisation du processus de développement avec le moins de dommage possible quant aux perspectives d’avenir sur ce continent pour toutes les personnes concernées?

Voilà une question qui est assez épineuse pour l’Église anglicane du Canada. Ce synode regroupe des évêques, des membres du clergé et des laïcs qui ont signé l’Alliance avec les Autochtones, alliance qui soulève les mêmes questions pour nous. «Comment les Autochtones anglicans au Canada peuvent-ils affirmer et célébrer leur identité et prendre le contrôle de leur autodétermination quant à leur avenir sans endommager les perspectives d’avenir de la communion changeante dans l’Église anglicane?»

Partout au Canada, on entend cette même question chez les Premières Nations alors qu’elles abordent des questions d’identité et d’autodétermination et les questions connexes des revendications territoriales. Une organisation et un gouvernement forts et centralisés ne répondent pas toujours bien et de manière efficace aux préoccupations régionales. On retrouve donc d’autres juridictions au Canada où la question ne traite pas la façon de s’y prendre pour obtenir l’indépendance mais plutôt comment peut-on prendre part aux avantages d’une fédération élargie tout en étant pris au sérieux comme partenaire.

 

Une approche anglicane du partenariat

L’Église anglicane du Canada a beaucoup contribué à la Communion anglicane mondiale avec, par exemple, notre modèle de gouvernement synodal. Cette forme de partenariat représente une de nos contributions les plus distinctes. C’est un principe qui, depuis 1963, gouverne notre mission et nos rapports, et qui nous conduit vers une responsabilité et une inter-dépendance mutuelles. Selon ce principe, nous nous approchons des autres en guise de solidarité. Nous écoutons leurs histoires et leur manière d’articuler leurs aspirations et leurs besoins. Nous ne prétendons pas posséder les bonnes réponses pour eux, mais nous tentons de les comprendre. Puis, nous identifions des ressources qui peuvent servir à répondre à leurs besoins. À partir de ces éléments, nous créons une vision partagée avec eux et nous nous engageons à actualiser cette vision en tant que partenaires. C’est la mise en oeuvre de l’engagement baptismal de faire notre possible pour avoir la justice et la paix pour toutes les personnes et le respect de la dignité de chaque être humain. Je suis d’avis que ce principe de partenariat, qui mérite le respect au plan international et dans les affaires de notre Église au Canada, pourrait avoir une portée plus étendue sur notre territoire et nous être très utile dans l’avenir. Mais le partenariat exige un engagement et le retrait face à tel engagement sinon le manque de suivi peut coûter très cher. Après tout, le Canada est un partenariat de plusieurs peuples et d’intérêts régionaux qui ont des aspirations raisonnables et légitimes en attente de réalisation. Et parmi ces différences, nous ne pouvons pas nous définir, en tant que peuple, seulement par notre langue, notre culture, nos frontières et notre appareil politique.

 

L’Église au Québec

L’Église anglicane est arrivée au Québec, et particulièrement à Montréal, en 1760. Dès ses premiers jours, elle s’est retrouvée dans un partenariat. Le premier curé anglican de Montréal était David Chabrand Delisle. Il tenait ses services dans la chapelle des Pères Récollets qui la lui prêtaient pour une heure le dimanche. Il était francophone. Ses paroissiens anglophones ont supplié monseigneur Inglis de leur envoyer un prêtre anglais car ils ne comprenaient pas ses sermons. Dans une lettre à sa société missionnaire, le Révérend Delisle a mentionné que ses fidèles étaient de fait des presbytériens sans curé. De plus, 40 paroissiens de langue allemande ont fait une demande auprès de l’évêque pour qu’il leur envoie un pasteur parlant allemand. C’est tout un reflet de la nature inclusive de l’Église anglicane de réaliser que les services étaient tenus en allemand, en anglais et en français dans une chapelle empruntée aux catholiques romains au bénéfice de gens appartement à une variété de religions. Mais l’évolution de Montréal était telle que, de plus en plus, les Anglicans ont été identifiés à «l’Église anglaise». Il faut ajouter que pendant plusieurs années cette situation la satisfaisait. Ce n’est que plus récemment que le principe du partenariat a pris une nouvelle vie. Et nous avons payé un prix institutionnel pour cette complaisance. L’affirmation de la réalité française dans les années 1960 et 1970 et la législation qui l’a suivie, et qui a tellement offensé les anglophones, a donné lieu à un exode massif de Québécoises et de Québécois de langue anglaise qui ont quitté la province. L’Église anglicane de Montréal a perdu, sur une période de 30 ans, près de 75% de ses membres, et elle tente toujours de se redéfinir face à cette nouvelle réalité.

Encore une fois, c’est le principe de partenariat qui nous sert bien. Nous prenons pour acquis qu’il faut parler et comprendre le français et nous exigeons que chaque membre du clergé puisse fonctionner en anglais et en français. Nous collaborons sur plusieurs plans avec les gouvernements locaux et provincial. Malgré notre petite taille, le diocèse de Montréal est le plus important parrain unique de réfugiés au Québec. Nous avons récemment eu une réception à Fulford Hall pour tous les réfugiés que nous avons parrainés au cours des 12 derniers mois. La salle était remplie de nouveaux arrivants venant d’Afghanistan, du Rwanda, du Burundi, du Pakistan, du Sudan et de plusieurs autres parties du monde. Le ministre québécois, l’Honorable André Boisclair, était présent parmi nous et il se demandait comment nous pouvions y arriver. Le gouvernement du Québec s’est engagé à fournir 60 millions $ pour restaurer des édifices historiques. La ministre, l’Honorable Louise Beaudoin, a lancé le programme à partir de notre cathédrale et le doyen, le Très Révérend Michael Pitts, est le trésorier de la Fondation Héritage Québec qui gère le fond. Les idées et l’expertise que nous offrons à d’autres partenariats dans les secteurs de l’éducation, des soins de santé, de l’aumônerie dans les prisons et des programmes sociaux communautaires vont au-delà des nombres.

L’Association des doyens de l’Amérique du Nord a tenu une réunion à Montréal, il y a dix ans. J’y avais invité l’Honorable Marc Lalonde, ancien ministre fédéral qui a tenu presque tous les postes ministériels les plus importants, et Pierre-Marc Johnson, chef du Parti Québécois, qui venait de compléter un court mandat comme premier ministre après la mort de René Lévesque. Comme on s’y attendait, ils ont présenté des opinions divergentes quant à l’avenir politique du Québec et on eu droit à des échanges animés sur le sujet. Monsieur Johnson a conclu en disant : «Le défi du Québec, qui cherche à se définir en Amérique du Nord, ressemble un peu au défi de l’Église anglicane, qui cherche à se définir au Québec.» Son point m’a frappé et il m’a fait comprendre que les questions d’identité ne sont pas réservées au Québec. Nous vivons dans une époque de globalisation où, potentiellement, quelques personnes peuvent prendre des décisions qui affectent de plus en plus de gens. Les questions d’identité, de compréhension de soi et d’autodétermination revêtent de plus en plus d’importance pour la plupart d’entre nous. En même temps, nous réalisons de plus en plus que toutes les parties de la Création sont reliées entre elles. Par conséquent, le fait de nous élever au-dessus de notre intérêt personnel dans l’espoir d’obtenir un avantage à long terme pour notre bien-être collectif est en train de devenir une vertu attirante.

 

Conclusion

En tant que membres de l’Église anglicane, nous sommes un peuple qui possède une certaine expérience de l’inclusion, et qui sait honorer les aspirations d’une grande variété de cultures, d’histoires et de langues au sein d’une même Communion. À titre d’Église de la Réforme, nous ne favorisons pas tellement le pouvoir et l’autorité centralisés ni les formules dogmatiques qui sont insensibles au mouvement de l’Esprit dans le Corps de l’Église. Nous sommes engagés à lutter pour la justice et à respecter la dignité de chaque être humain. Et dans ce synode, nous sommes décidés à faire entendre nos voix. Si cela ne nous permet pas de trouver des réponses politiques à des questions difficiles, nous possédons toutefois la compétence requise pour bien contribuer au contexte dans lequel ces questions sont soulevées ainsi qu’aux valeurs qui peuvent conduire à des résultats satisfaisants. Voici donc une voix qui provient de notre Église au Québec. Je souhaite que, dans une petite mesure, cela puisse établir un contexte au sein duquel la discussion de ce soir ajoutera à la compréhension et à la bonne volonté mutuelles et nous amènera plus près du royaume de Dieu, rempli de justice et de paix sur ce territoire et partout sur la terre.